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Chroniques
récital Amaury Breyne
Gaubert – Ibert – Séverac
Il y a quelque mois, évoquant les pertes britanniques liées à la bataille de la Somme (du 1er juillet au 18 novembre 1916), nous empruntions à Doris Lessing le récit d’un âcre retour à la vie civile que connut son père [lire notre critique du CD]. Pour ce vingt-septième volume de la collection Les musiciens et la Grande Guerre, exclusivement français, sous-titré Catharsis dans les services de santé, un autre témoignage filial vient à l’esprit : celui d’Alain Robbe-Grillet (1922-2008), truffant de souvenirs d’enfance Le miroir qui revient (1985). On y découvre la lutte administrative d’un survivant qui admet, avec un demi-sourire, n’être plus vraiment normal :
« Pendant de longues années, il a plaidé contre les ministères compétents, renvoyé de tribunaux en expertises, afin de se faire reconnaître “fou” officiellement. En plus de ses maigres annuités d’ancien combattant, blessé de la face, médaillé militaire avec pension, etc. il réclamait avec force une indemnité supplémentaire, qui aurait été beaucoup plus importante, pour folie permanente consécutive aux traumatismes crâniens reçus au front : choc des explosions, éclats d’obus et autres. Cependant les experts ne se sont pas laissé convaincre, et les magistrats l’ont toujours débouté de ses plaintes : il était peut-être détraqué mais les combats ne pouvaient en être tenus pour responsables ! ».
Très critique envers la capitale où il vient étudier à la Schola Cantorum avec d’Indy, Magnard et Guilmant, Déodat de Séverac (1872-1921) est devenu le chantre d’une musique typique du Sud-Ouest. Mobilisé à Carcassonne, nommé à l’Hôpital auxiliaire de Saint-Pons puis à Prades, le compositeur passe la guerre loin de la frontière allemande, ce qui peut expliquer une certaine insouciance dans des pièces de l’époque et l’envie d’affirmer par l’art une vitalité en germe, pour mieux accueillir l’avenir. C’est le cas de Sous les lauriers roses (1919), plein de couleurs et d’atmosphères méditerranéennes, qu’Amaury Breyne a enregistré sur piano Steinway 1906 – à l’instar d’un précédent hommage aux créateurs enrôlés [lire notre critique du CD].
Basé dans la Meuse, Philippe Gaubert (1879-1941) vit l’horreur des tranchées comme brancardier-musicien et sergent tambour-major. Il y conçoit Médailles antiques (1916) pour trois instruments qui lui sont chers : la flûte dont il perfectionna l’apprentissage auprès des Taffanel père et fils, le violon qu’il joua enfant dans un cinéma de quartier – ici tenu par Yasmine Hammani –, ainsi que le piano. Comme celle de Séverac, cette page vivace peine à avouer le contexte de sa conception, de même que la Sonate pour flûte et piano (1917) où la flûte volubile de Pierre Pouillaude anime le premier mouvement. Plus intérieur, le suivant présente des nappes mélancoliques vite dissoutes, tandis que le dernier avive un élan délicat et frais.
Des trois joués, Jacques Ibert (1890-1962) est le plus jeune, doublé du plus entêté à défendre son pays – lui qui serait accusé de trahison par le gouvernement de Vichy, un quart de siècle plus tard ! Bien que réformé par deux fois, dès 1914, puis en 1916, le futur créateur de L’Aiglon (1937) et d’Angélique (1828) [lire nos chroniques du 28 avril 2013 et du 12 avril 2007] se retrouve d’abord brancardier-infirmier sur le front, puis chez les fusiliers marins. Dans Noël en Picardie (1914), Amaury Breyne évoque avec talent ce qu’on entend et imagine : des cloches d’église à minuit, des flocons qui chutent et engourdissent, etc. On aime cette œuvre proche de Satie et Ravel par instants, qui annonce des abstractions à venir.
LB